mardi 22 mars 2016

Quand un roman me donne envie de googler, c'est gagné !


Un roman réjouissant qui fait voyager, un style bien particulier, la découverte d'un auteur déjà confirmé... Que demander de plus ???

Jean Echenoz n'en est pas à son premier roman mais je n'avais jamais entendu parler de ce monsieur, qui compte pourtant un prix Goncourt à son actif (M'enfin, si on devait connaître tous les primés littéraires...)

Son nouveau roman nous fait voyager de Paris au fin fond de la Creuse, pour atterrir en Corée du Nord par le biais d'une jeune femme embarquée, à l'insu de son plein gré mais sans qu'elle oppose une grande résistance, dans une mission secrète.
Un général vieillissant, ancien membre d'un service spécialisé en opérations clandestines, a du mal à raccrocher et ne peut s'empêcher de continuer à monter en douce quelques opérations. Il charge son gradé de recruter une personne lambda, complètement extérieure à leurs services, et de lui faire "subir" une petite purge afin de pouvoir la formater comme bon leur semble.
Ça tombe sur Constance, femme plutôt oisive de Lou Tausk, compositeur musical has been, qui vit sur les rentes du tube interplanétaire qu'il a composé jadis (à l'instar de Patrick Hernandez...).
J'arrête là mon résumé, inutile d'en dire plus, ce serait dévoiler tout le scénario et ce serait bien dommage puisque ce faux roman d'aventure/espionnage trouve sa force dans les multiples actions rebondissantes qui le rythment.

En effet, le peu que j'ai pu lire des critiques sur d'autres romans de l'auteur m'a laissé comprendre que Jean Echenoz n'est pas un adepte du sentimentalisme. De ce côté-là, c'est clair, c'est la sécheresse émotionnelle.

Peu importe, je ne me suis pas ennuyée une seconde. Constance passe pour être le personnage principal de cette histoire (elle est d'ailleurs la seule nommément citée dans le cours résumé au dos de la couverture) mais j'ai du mal à la qualifier ainsi tellement je l'ai trouvée neutre, fade, sans grand intérêt et pas du tout fouillée en comparaison avec tous les autres phénomènes présents dans le livre. Et ils sont nombreux. Très identifiés par des histoires personnelles bien campées et des détails physiques précis, ils sont  récurrents tout au long du roman (sauf ceux -ou celui, j'ai du mal à me souvenir tellement il leur en arrive... - qui trépassent, il va sans dire). Pas mal de loosers et de bras cassés à qui il arrive nombre d'aventures et de mésaventures. C'est souvent loufoque, à la limite du rocambolesque mais pour moi, on ne tombe pas dans l'abracadabrantesque. Dans le genre, ça se tient bien.
Il y a le sujet principal (la "mise en condition" de la recrue Constance, puis sa mission) et toutes les histoires parallèles des autres personnages, qui gravitent autour.

Le style est très étonnant. L'auteur narre à la première personne du pluriel. Au "nous". Il aurait pu faire la même chose en disant "je" tout simplement mais cette manière d'impliquer d'autres personnes avec lui, appuie le côté vivant du récit. "Nous allons vous raconter une histoire étonnante, et je ne suis pas tout seul à en être témoin."
Ou bien c'est un "nous" qui implique les lecteurs au même titre que l'auteur, qui les prend à témoin, les convie à participer pleinement à la narration.
Un peu des deux, sans doute. En tous cas, cela étonne mais cela fonctionne. À noter que l'auteur en use, suffisamment pour le remarquer, mais n'en abuse pas au point de lasser (Heureusement).
Et l'écriture est exquise, d'une manière générale. Finement ciselée et jubilatoire ! L'humour est subtile, pince sans rire.

Extrait p. 79 :
  "Nous apprenons ainsi que le Néo-Guinéen s'appelle en vérité Lessertisseur. Ce n'est pas sans regret que nous abandonnerons notre première désignation, nous aimions bien l'appeler comme ça mais nous devons respecter l'identité des gens. Puis il est vrai que le physique de ce Lessertisseur n'évoque nullement un habitus de cette région lointaine, rien d'indonésien ni de papou chez lui, il semble plutôt originaire de la Sarthe ou de la Moselle, de la Charente-Maritime ou du Cher, des coins comme ça."

 Extrait p. 206 : (suite à l'évocation de convives autour d'un repas)
   "Ici, nous avions prévu de transcrire le détail de cette conversation. À mesure qu'elle s'échauffe et s'amplifie, nous avions même envisagé d'approfondir les sujets qu'elle aborde - événements politiques, sociaux, culturels et bientôt intimes. Nous étions sur le point de le faire mais voici que tinte à la porte, en intervalle de tierce majeure descendante, le double gong de la sonnette. Vous attendiez quelqu'un ? demande Lucile. Je ne crois pas, s'étonne Nadine Alcover. Va voir ce que c'est, lui suggère Tausk."

Ce "nous" plante donc des ambiances, des décors remarquables, nous envoie des images plein la tête et nous embarque au cœur des différents lieux dans lesquels évoluent les personnages.

Et parmi ces différents lieux, le cas particulier de la Corée du Nord, sur lequel vous permettrez que je m'attarde un peu... Parce que et oui... la Corée du Nord, je l'ai déjà visitée il y a 4 ans grâce à Guy Delisle et son Pyongyang que je conseille chaudement.
J'ai donc retrouvé ici des ambiances, des anecdotes, qui m'ont parlé mais j'ai aussi eu la surprise d'apprendre de nouveaux éléments concernant ce pays. Ou ils m'étaient sortis de la tête. Possible aussi.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas compliquée comme fille. Je m'émerveille de peu et rien ne me fait plus plaisir que le sentiment de m'être cultivée, mine de rien, sans m'y attendre, à la faveur de quelques phrases ou paragraphes dans un "simple" roman.
Une ravie de la crèche... Une vraie de vraie !
Lire, c'est ouvrir son esprit, le maintenir en éveil.
Ce fut le cas ici et croyez-moi, ma journée a été illuminée (littéralement) quand j'ai lu le passage p.226 où Jean Echenoz nous raconte que de l'espace, on peut observer un phénomène étonnant quand sonne 22h en Corée du Nord. L'électricité est coupée dans la majeure partie du pays et si on observe ce coin de la Terre à des dizaines de milliers de kilomètres d'altitude, un "cosmonaute mal formé en géographie peut le prendre pour une voie maritime reliant la mer Jaune à la mer du Japon" nous explique l'auteur. Pour ceux que le sujet intéresse, cliquez ici.

J'ai appris aussi l'existence de la DMZ, la zone démilitarisée entre les 2 Corée. Zone frontière entre les deux pays, démilitarisée sur les 4 kilomètres de large de cette zone qui bouillonne d'une vie végétale et animale florissante (un sanctuaire écologique sous les barbelés)... et en même temps loin d'être démilitarisée, car la plus militarisée au monde dit-on, de part et d'autre de ce bandeau tampon, les deux frères ennemis étant toujours officiellement en guerre.
"Sa richesse faunistique a même poussé les amis internationaux des bêtes, jamais avares en bonnes idées, à demander qu'elle soit inscrite comme secteur protégé au patrimoine mondial de l'Unesco" (p. 284) Une phrase bien représentative du style Echenoz.

Mais fini de digresser. Tout cela pour dire que quand 5 lignes dans un roman me donnent envie d'aller googler, je suis euphorique !

Mon seul bémol concernant ce roman... Comme souvent, je suis un poil déçue par la fin que je trouve légèrement expédiée. Je règle le sort des personnages en un chapitre pour expliquer ce qu'ils sont devenus, et hop, j'ai fini mon histoire ! (Re)m'enfin, je ne suis pas l'écrivain)

Ceci étant dit, Jean Echenoz m'a fait voyager et pour cela, je lui dis un grand merci.


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